Chronique
Les candidats à l'écoute de leurs voisins européens
LE MONDE | 03.05.07 | 14h34
La question européenne n'a pas été absente de la campagne présidentielle, mais il est vrai qu'elle n'a pas été au centre des débats. Les trois principaux compétiteurs avaient fait campagne pour le oui au référendum de mai 2005. Rien ne les opposait vraiment sur le fond. La seule différence visible a porté sur le choix de recourir, ou non, à un nouveau référendum pour faire ratifier le futur traité appelé à se substituer au projet de Constitution.
Nicolas Sarkozy a annoncé qu'il choisirait la voie parlementaire, Ségolène Royal et François Bayrou ont affirmé leur préférence pour une consultation populaire. On ne peut pas dire que cette divergence ait donné lieu à beaucoup de controverses. La relance de la construction européenne a été largement mise entre parenthèses par les grands candidats, sans que les électeurs ne s'en émeuvent, comme l'a montré l'échec de la gauche antilibérale, qui s'était fortement mobilisée pour le non il y a deux ans.
En revanche, il est remarquable que les trois postulants se soient si souvent référés non pas à l'Union européenne en tant que telle, mais aux partenaires européens de la France, pour vanter certaines de leurs réalisations et les citer comme des exemples à suivre. Tout s'est passé comme si l'entreprise communautaire avait habitué les hommes politiques français à regarder au-delà des frontières de leur pays et à reprendre à leur compte, le cas échéant, les solutions adoptées par leurs voisins. On est encore loin de l'espace public européen auquel aspirent nombre de partisans de l'Europe unie, mais on est déjà entré dans un système de relations marqué par un effort de connaissance mutuelle et d'attention partagée. Chacun a compris que, par-delà le modèle français, les expériences étrangères peuvent aussi quelquefois servir de leçons.
"Qui peut envisager de diriger la France sans connaître les dirigeants de l'Europe ?", a déclaré Nicolas Sarkozy en mettant soigneusement en scène ses rencontres successives avec Tony Blair et Angela Merkel. L'ancien ministre de l'intérieur a appris à connaître quelques-uns de ses collègues européens non à Bruxelles, où on ne l'a guère vu, mais dans les réunions rassemblant ses homologues des grands pays de l'Union. Au-delà des personnes, il s'est intéressé aux politiques. "Le plein emploi, c'est possible, a-t-il lancé à Lille le 28 mars. D'autres pays l'ont fait." Ces pays, a-t-il expliqué ensuite, ce sont la Suède, l'Irlande, le Danemark et la Grande-Bretagne tandis que l'Espagne a divisé par deux son taux de chômage.
Ségolène Royal a fait scandale dans son propre parti en trouvant quelques vertus à Tony Blair. Elle a plusieurs fois évoqué les pays scandinaves, appelant à moderniser "comme l'ont fait les pays du nord de l'Europe". Elle a repris la même antienne au lendemain du premier tour. "Je crois, moi, a-t-elle dit, qu'il est possible, comme dans les démocraties du nord de l'Europe, de concilier la sécurité des salariés (...) et en même temps la compétitivité et la performance des entreprises." Elle a regardé aussi vers le Sud, accueillant à Toulouse, le 20 avril, l'Espagnol José Luis Zapatero, "chef d'un gouvernement inventif et profondément réformateur", ou se réclamant de Romano Prodi qui, en Italie, a su unir le centre et la gauche.
Quant à François Bayrou, il n'a cessé d'invoquer la "grande coalition" à l'allemande pour justifier sa volonté de dépasser les clivages entre la droite et la gauche en France. Il a souligné également que tous les membres du gouvernement allemand ont eu une carrière professionnelle d'une dizaine d'années avant d'exercer une responsabilité publique. Pour la nouvelle génération des dirigeants politiques français, l'Europe existe au moins comme un vaste réservoir de bonnes pratiques dont chaque pays est invité à s'inspirer.
Thomas Ferenczi